Il faut sauver la maison Luxembourg !

Nous avons charmé des investisseurs étrangers en abandonnant les petits investisseurs locaux luxembourgeois, ceux-là même qui, jouissant de revenus confortables, ne peuvent plus acheter sur le territoire qui les a vu naître.

Sauver la maison Luxembourg (ne pas impacter les retraites ou augmenter les cotisations), c’est se résoudre à accepter d’avoir une forte densité de population et y mettre les moyens dès maintenant.

 Confort de l’espace versus confort financier ? Villages calmes versus plus de monde dans le bourg ? Il va falloir choisir.

Si on compte sur Philippe Raynaud, fondateur de Progetis, co-fondateur de RE-Smart et multi-entrepreneur, pour avoir un langage policé et tout schuss dans le sens du poil, on pourrait se sentir légèrement fébrile à la lecture de ce papier… Si, en revanche on souhaite un point de vue franc sur ce qu’il pense de la question immobilière au Grand-Duché, on respire un bon coup et on attache sa ceinture !

En amont de la conférence du 25 septembre prochain organisée par Wortimmo, Philippe Raynaud, modérateur de l’événement, nous a accordé un entretien exclusif… en forme de coup de pied dans la fourmilière…

 

Cher monsieur, que pouvez-vous nous dire de la situation actuelle de l’immobilier au Luxembourg ?

« Il y a deux axes dans la problématique du logement. Le premier est un faux problème qu’il convient d’éclaircir : non, les taux d’intérêts ne sont pas trop élevés ! Ils sont en dessous de la moyenne des 20 dernières années. Du reste, si on envisage les choses selon une vision macro-économique, ils sont même plutôt bas, c’est une réalité mathématique. Il y a 20 ans, des taux à 9 ou 10 % étaient la norme ! Présentement, nous sommes juste revenus à des taux normaux. Ce sont les taux des dernières années qui, eux, étaient anormalement bas (sourires).

L’autre gros sujet inhérent au Luxembourg, ce sont les prix qui se sont envolés depuis les années 2016/2017. Les gouvernements successifs n’ont pas vu la machine s’emballer. Comme le disait à l’époque un spécialiste du monde immobilier, il en coûtait plus cher d’acquérir un bien à Differdange… qu’à Barcelone ! Cela peut prêter à rire, c’est pourtant éloquent. »

Quels sont, selon vous, les facteurs pouvant expliquer cet état de fait ?

« Les différents gouvernements se sont peut-être plu à croire que Luxembourg était au-dessus de la mêlée. Je suis désolé de le rappeler, les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel, il conviendrait d’arrêter de rêver. Or, rien n’a été fait pour calmer le jeu ; nous avons charmé des investisseurs étrangers (américains, russes…) en abandonnant les petits investisseurs locaux luxembourgeois, ceux-là même qui, jouissant de revenus confortables, ne peuvent plus acheter sur le territoire qui les a vu naître...

Il existe bien des modus operandi à dénoncer et des solutions à mettre en place, je suis prêt à exprimer mon point de vue et mes idées à ce sujet mais je ne suis pas l’Institution… »

 

Vous imaginez bien que votre point de vue nous intéresse grandement…

« Il y a eu un pouvoir de plus en plus fort donné aux communes durant certaines campagnes électorales sur le mode : « Si vous revotez pour moi, il n’y aura pas de nouvelles constructions sur la commune ». De fait, certaines communes sont passées maîtresses dans l’art de mettre des bâtons dans les roues, pinaillant par exemple sur les délais de construction (jusque huit ans pour obtenir un permis de construire). Cela empêche l’économie de se développer. En son temps, Junker avait pourtant prévenu, nous devions atteindre le million d’habitants au Grand-Duché en 2030 pour pouvoir continuer sur la même dynamique, conserver le système de sécurité sociale tel qu’en l’état actuel et financer correctement les retraites. Il y a urgence, non ? Donc, soit on choisit la tranquillité pour aujourd’hui et maintenant et on va au casse-pipe, soit il est urgent de prendre des décisions concrètes.

Concernant ce que j’évoquais plus haut, aujourd’hui l’indicateur clé, qui relève le nombre d'heures de travail d'un salaire médian pour acheter un mètre carré habitable, a explosé : même si on a les salaires luxembourgeois qui augmentent, et un bon équilibre des pouvoirs d’achat, le prix du mètre carré a plus que doublé en dix ans et l’acquisition d’un bien reste donc inenvisageable au plus grand nombre. Il y a eu un net coup de frein observé en 2022 et, même sans cela, les hausses régulières font que même la classe moyenne supérieure ne peut plus s’acheter un toit ! Alors que, soulignons-le, en Belgique, en France ou en Allemagne, devenir propriétaire est un rêve qui reste réalisable. »

 

Quelles seraient selon vous, les solutions à envisager ?

« Faire en sorte de calmer le jeu sur les plus-values, faciliter les constructions plus petites (certaines communes mettent des contraintes de surfaces pour avoir des personnes à très haut pouvoir d’achat et peu de trafic).

Si comme je le spécifiais plus haut, les précédents gouvernements sont restés assez absents autour de la question, il serait aujourd’hui intéressant de connaître le projet du gouvernement actuel en la matière. Quelle est sa vision à long terme, d’un point de vue macroéconomique ? Le premier devoir d’un politique n’est-il pas d’anticiper l’avenir ? On a un problème pour garder l’équilibre, les signaux du côté de la place financière ne sont pas si réjouissants que cela et on note la concurrence ardue d’autres places financières… en un mot comme en cent, la spécificité bancaire luxembourgeoise a pris du plomb dans l’aile. 

Pourquoi pas une incitation fiscale à court terme pour doper le secteur, plus de souplesse pour les promoteurs (par exemple, arrêter de pinailler sur des contraintes de hauteurs qui engendrent moins de logements) ? Le Luxembourg a-t-il toute légitimité à contraindre ainsi ses promoteurs, ce qui engendre des délais trop longs ? In fine, même si les consciences se réveillent et que l’activité redémarre, cela va immanquablement entrainer une pénurie de logements à moyen terme.

Et du côté des communes, pourquoi ne pas envisager d’aider (financièrement ou en termes d'infrastructure), celles qui acceptent de construire plus haut et avec plus de densité (comme Differdange, par exemple) ? »

 

Alors que Philippe Raynaud peine à cacher son impatience et sa désolation sur le sujet, on est effectivement en droit de se demander quel est le plan (y en-a-t-il un ?) du gouvernement à dix ans ? Force est de constater que nous sommes à cinq petites années d’une échéance que nous n’atteindrons probablement pas en termes de population alors que l’on note en parallèle et depuis trois ans, un déficit de construction (et que dire du retard sur les infrastructures de transport (autoroutes, routes… et structures telles qu’écoles, crèches, voiries… ?)

Il conviendrait de réfléchir sérieusement à ce qui est en train de se passer puisqu’en parallèle, encore une fois, ce qui faisait l’ADN du Luxembourg, le monde bancaire, a perdu de son aura. Plusieurs autres contrées ont des charmes identiques voire supérieures aux nôtres. Or, comme le souligne encore Philippe Raynaud, on ne peut dépasser les 30 % de taux d’endettement au risque de perdre notre triple A. Sacrée épée de Damoclès qui, si tel était le cas, entrainerait l’activité bancaire vers des cieux plus cléments… voire plus chauds.  En nous laissant sérieusement à la peine puisqu’en manque de bonnes grosses entreprises florissantes pour contrebalancer cet éventuel cas de figure… 

Sauver la maison Luxembourg (ne pas impacter les retraites ou augmenter les cotisations), c’est se résoudre à accepter d’avoir une forte densité de population et y mettre les moyens dès maintenant. Peut-être violent au niveau du paysage mais que veut vraiment le citoyen ? Confort de l’espace versus confort financier ? Villages calmes versus plus de monde dans le bourg ? Vous noterez au passage que tous lespays dynamiques se sont dirigés vers une super-urbanisation. On dit ça, on ne dit rien mais donc… quid de la maison Luxembourg ?

 

C’est à cette question et tous ses corollaires que le Ministre du logement, Claude Meisch, invité à la conférence Wortimmo de mercredi 25 septembre, aura la possibilité de répondre.

En effet, comme le rappelle Julien Lespagne, Sales Supervisor Regie.lu, l’événement Wortimmo va rassembler des acteurs du monde immobilier, le but étant de donner parole et visibilité à ceux qui peuvent faire un état des lieux concret et délivrer conseils : « Wortimmo organise cette conférence pour aborder les défis majeurs que traverse actuellement le marché immobilier luxembourgeois. Le secteur fait face à des transformations profondes, notamment la baisse des transactions, l'ajustement des prix, ainsi que les difficultés rencontrées dans la construction neuve. Ces enjeux impactent non seulement les professionnels du secteur, mais aussi les investisseurs et les particuliers.

Notre objectif est de réunir les principaux acteurs du marché, comme M. Claude Meisch, Ministre du Logement, et d’autres leaders reconnus du secteur, afin d’engager un dialogue constructif. Cette conférence est l’occasion de réfléchir collectivement aux stratégies à mettre en place pour revitaliser l’immobilier au Luxembourg et assurer une croissance durable.

En facilitant cet échange, nous souhaitons non seulement offrir des perspectives claires et des solutions concrètes, mais aussi contribuer à l’élaboration de politiques publiques qui soutiendront la relance du secteur. Ce type d’événement est essentiel pour informer et sensibiliser tous les acteurs, tout en trouvant des réponses adaptées à la situation actuelle.

Nous croyons fermement que ce moment de partage d'expertise est un pas nécessaire vers un avenir plus stable et prospère pour le marché immobilier luxembourgeois. »

 

Alix Bellac