L'année 2023 a été marquée par des défis significatifs pour le marché de l'immobilier résidentiel au Luxembourg, en particulier pour le secteur du neuf. La hausse rapide des taux d'intérêt a entraîné une réduction drastique de l'activité, avec une baisse marquée des prix, à partir du deuxième trimestre. Quelles sont les répercussions de ces événements sur le marché de l'immobilier neuf et les tendances émergentes prévues pour 2024 ?
Texte : Emilie Di vencenzo
Photo : Sabino Parente, Unslpash, C.
Le marché de l'immobilier résidentiel a été fortement touché par la réduction de l'activité en 2023, due notamment à une hausse forte et rapide des taux d’intérêt. « Cela s’est traduit par une nette réduction de l’activité puis une baisse assez forte des prix, en particulier à partir du deuxième trimestre 2023 », introduit Julien Licheron du LISER. Au troisième trimestre, le nombre de ventes d'appartements en construction (VEFA) a chuté de manière spectaculaire à seulement 119, par rapport à une moyenne antérieure oscillant entre 600 et 700 transactions (entre 2017 et 2019). « Alors que la baisse des prix concernait dès le début de l’année davantage les segments des appartements et maisons anciennes, la baisse des prix des appartements en construction a été particulièrement prononcée au troisième trimestre 2023, enregistrant une baisse de 7,7% sur douze mois ».
Photo de Jean-Paul Scheuren
Pour Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre Immobilière : « Le propriétaire est en attente de vendre car les acheteurs n’osent plus aller voir les banques, les investisseurs n’ont pas de vision d’avenir, et les promoteurs ont peur d’engager des travaux et de vendre à un prix inférieur ».
Émergence de nouvelles tendances
La conjoncture difficile soulève des interrogations quant aux tendances futures du marché immobilier neuf au Luxembourg. « Des modèles tels que le co-living, les résidences avec services associés, et la création de logements intégrés, importés d'autres pays, semblaient prendre de l'ampleur avant la crise immobilière que nous connaissons actuellement », explique Julien Licheron. Toutefois, il est difficile de savoir si cette situation conjoncturelle inédite va pouvoir maintenir ce genre d’initiatives. En effet, « certains de ces modèles étaient logiquement portés par les investisseurs locatifs, dont une partie importante s’est pour l’instant détournée du marché de l’immobilier résidentiel ». Toutefois, l'année 2024 pourrait être une période de transition, avec une reprise progressive de l'activité, d'abord dans le secteur de l'ancien, suivi par le neuf.
Photo de Julien Licheron
Évolution de la demande pour les propriétés neuves
La forte demande pour les propriétés neuves a contribué à une augmentation significative des prix entre 2017 et 2022, « avec parfois des augmentations annuelles de plus de 10%. Rappelons que c’est ce décalage entre cette forte demande et une offre de logements limitée, notamment du fait de la contrainte sur l’accès au foncier, qui a largement contribué à l’augmentation des prix », précise Julien Licheron.
La hausse brutale des taux d'intérêt a entraîné une perte de capacité d'achat tant pour les accédants à la propriété que pour les investisseurs locatifs « estimée entre 25% et 30% (2023 comparativement à début 2022) ». « Nous vivons une situation inédite depuis 40 ans avec un volume extrêmement faible de -70% du volume d’actes notariés en VEFA au mois de décembre et une situation économique préoccupante », explique encore Jean-Paul Scheuren. « C’est même devenu extrêmement compliqué d’estimer un prix. Les investisseurs locatifsreprésentant jusqu'à 40% des achats d'appartements en construction (VEFA) qui se sont tournés vers d’autres placements alternatifs relativement plus rémunérateurs », poursuit le chercheur. Toutefois, « c’est l’occasion ou jamais de faire de belles acquisitions pour ceux qui n’ont pas besoin d’emprunter car l’acheteur n’a jamais été aussi bien accueilli par le vendeur », ironise Jean-Paul Scheuren.
Une tendance vers l’ancien ?
Pour l’heure, du fait des taux d'intérêt élevés et d’une baisse des capacités d'achat, les acheteurs s’orientent davantage vers le marché de l'ancien. « Cela créera inévitablement un déficit d'offre en logements neufs lorsque la demande se redressera en fin d’année 2024 ou en 2025. Les bâtiments qui ne sont pas mis en chantier aujourd’hui seront des logements qui feront défaut au sortir de la crise», s’inquiète Julien Licheron.
Par ailleurs, l'incertitude concernant le prix futur des logements acquis en VEFA, en raison de l'indexation sur les prix de la construction, a éventuellement conduit certains acheteurs à se tourner vers le marché des logements existants. « Cependant, ce facteur s'est atténué progressivement à mesure que de nombreux promoteurs ont opté pour un changement de système de tarification, fixant un prix final pour l'acheteur dans le contrat de VEFA ».
Perspectives pour rendre les propriétés neuves accessibles
Pour rendre les propriétés neuves plus accessibles financièrement, il est crucial de freiner la hausse des prix en rapprochant l'offre de la demande. Des initiatives visant à faciliter la construction sur les terrains libres déjà prévus dans le Plan d'Aménagement Général de chaque commune pourraient être cruciales. « Il s’agit d’un réservoir très important de foncier, et donc de logements, dont une part importante pourrait être construite assez rapidement », développe Julien Licheron. L'objectif est de répondre à la croissance tout en maintenant la compétitivité et l'attractivité du marché immobilier luxembourgeois. « Nous devons rester une terre d’accueil pour les jeunes talents », enchérit Jean-Paul Scheuren.
Pour cela, le Luxembourg cherche à développer un segment de logements abordables, compte-tenu de son historique axé sur l'accession à la propriété par le biais du subventionnement de la construction de logements en accession aidée et le soutien financier direct aux ménages. « Aujourd’hui, environ 2% du parc total de logements concerne le logement locatif social, ce qui est très inférieur par rapport aux niveaux observés dans de nombreux pays européens ».
Encouragement du développement de logements abordables
Du côté de la Chambre Immobilière, une section « développeurs » pour soutenir le développement de logements neufs et la réhabilitation d’immeubles vient d’être créée. Elle vise à établir une relation de confiance avec le gouvernement dans une approche collaborative. « Notre objectif est de transformer de manière fondamentale le secteur de la construction sur le plan structurel en le rendant plus durable. La hausse excessive des prix au cours des dernières années a posé des défis majeurs au secteur, et nous cherchons à remédier à cela en favorisant la construction de logements abordables ». Les développeurs sont prêts à se responsabiliser pour aider l'État à atteindre ses objectifs de construction. « Pour cela, des groupes de travail ont été mis en place pour apporter des modifications substantielles au secteur immobilier, en introduisant notamment de nouveaux modèles de financement et de construction ». Il est plus que jamais essentiel pour tous les acteurs de travailler ensemble.
Réglementations gouvernementales et initiatives
Le 22 février, le gouvernement a réuni les parties concernées lors des Tables du Logement pour examiner des solutions aux problèmes structurels. En début de mois, des mesures d'urgence ont été annoncées, visant à revitaliser le secteur immobilier et stimuler la construction. Ces mesures comprennent des incitations fiscales et des subventions d'intérêt, telles qu'une augmentation du taux et de la durée d'amortissement accéléré, un assouplissement du taux d'imposition sur les plus-values, et la création d'un crédit d'impôt dédié à l'investissement locatif.
Pour faciliter l'accès au logement, les conditions d'aide aux primo-accédants et aux acquéreurs en fonds propres seront assouplies, avec des augmentations des subventions d'intérêt et des garanties de l'État. Jean-Paul Scheuren souligne que ces mesures, bien que temporaires, ciblent divers acteurs tels que les acheteurs pour occupation propre, les primo-accédants et les investisseurs. Il insiste sur la nécessité de surveiller attentivement leur efficacité et de les ajuster si nécessaire.
Lors de ces Tables du Logement, le gouvernement a annoncé des mesures immédiates, notamment le renforcement du programme de rachat des programmes VEFA auprès des constructeurs. Des discussions avec le secteur financier visent à assouplir les conditions d'accès à la propriété en réduisant les besoins en fonds propres pour l'achat de nouveaux logements. « 10% en trésorerie pour acquisition pour occupation propre et 20% pour un investissement locatif) et des moyens pour soutenir les primo-accédants par des mesures supplémentaires pour alléger la charge d’intérêt ». La prolongation des autorisations en cours a également été décidée.
« Plusieurs Task Force thématiques ont été créées, avec pour mission de présenter des rapports d'ici fin mai ». Ces groupes se pencheront sur la simplification administrative et des procédures ainsi que sur l’urbanisme adapté aux objectifs de développement ; le logement abordable en définissant des nouveaux modèles accessibles au secteur privé ; le financement du secteur immobilier et la simplification des marchés publics conformément à la réglementation européenne.
Il incombe désormais à tous les acteurs du secteur – développeurs, vendeurs et acquéreurs – de capitaliser sur ces nouvelles opportunités et de changer la donne. L'évolution de la situation reste à suivre de près.